Ce mois-ci nous rencontrons Manon Ghislain, de l’unité connaissances de l’Office Français pour la Biodiversité en Guyane, qui nous parle du projet HABIPAT sur la biche des palétuviers.
Bonjour Manon, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Docteure en écologie, j’ai eu la chance de participer à divers projets d’étude sur la faune sauvage. J’ai notamment réalisé deux missions dans l’archipel de Kerguelen pour étudier la mue des éléphants de mer.
Actuellement, je travaille pour l’OFB à Kourou en Guyane, dans le service de la Direction de la Recherche et de l’Appui Scientifique pour le projet HABIPAT : Caractérisation de l’habitat de la Biche des palétuviers en vue d’harmoniser sa conservation avec le développement du littoral guyanais.
Peux-tu nous expliquer de quoi il en retourne et quels sont les objectifs de ce projet ?
J’étudie la biche des palétuviers, Odocoileus caraicou. C’est une espèce protégée qui vit principalement dans la mangrove sur le littoral Guyanais, sur laquelle nous avons très peu d’informations. L’objectif est d’améliorer les connaissances sur sa distribution (répartition, habitat) et sur son écologie (régime alimentaire, activité), afin de pouvoir la préserver.
Comment se fait-il que nous connaissons si peu sur cette espèce ? Quelle a été la méthode mise en place pour obtenir les données ?
La biche des palétuviers vit principalement dans la mangrove, donc dans des milieux difficiles d’accès. Seuls quelques pêcheurs de crabes s’y aventurent. De plus, les observations de l’espèce ne sont pas forcément renseignées et enregistrées.
Pour obtenir de nouvelles données sur l’espèce, mon travail s’est articulé en deux parties :
- J’ai posé une quarantaine de pièges photos tout le long du littoral guyanais, en accédant à la mangrove et aux zones humides à pied, en canoë ou en pirogue.
- J’ai enquêté auprès des locaux (chasseurs, associations naturalistes, réserves naturelles, prestataires touristiques), pour recueillir des informations.
Les autres mammifères guyanais sont-ils également peu documentés ? En quoi mieux connaître le mode de vie de ces espèces peut permettre aux gestionnaires de mieux gérer les espaces naturels ?
Pour moi, presque toutes les espèces de mammifères mériteraient d’être plus étudiées en Guyane, nous ne connaissons qu’une petite partie comparée aux espèces de métropole.
Pour la biche des palétuviers, il est indispensable de mieux connaître sa répartition, car elle vit principalement dans la mangrove côtière. Hors, en Guyane, la zone littorale est la plus impactée par les activités humaines et les destructions d’habitats.
Pour d’autres espèces comme le jaguar, les études et les enquêtes menées par l’OFB permettent d’améliorer la coexistence entre l’homme et l’espèce, et donc de la préserver.
Quelles ont les actions menées jusqu’à présent et quel retour d’expérience peux-tu nous faire ?
Grâce à cette étude, j’ai quasiment doublé le nombre d’observations de l’espèce pour lesquelles on a une location précise (de 37 observations ces 12 dernières années à 65 aujourd’hui). Soit par le bouche-à-oreilles, soit sur mes pièges-photographiques, soit par des relevés d’empreintes sur le terrain.
L’important dans ce travail a été de ne pas se décourager : parfois, un piège-photographique reste plusieurs mois sur un site avant qu’une biche ne passe devant ! Les premières observations photographiques sont arrivées plus de six mois après le début de mon travail, le confinement n’ayant pas aidé !
Quelques anecdotes de terrains à partager ?
Sur le terrain, je passe la plupart de mon temps dans la mangrove. C’est-à-dire enfoncée jusqu’aux genoux ou jusqu’à la taille dans la boue. Heureusement, à chaque sortie j’ai de bonnes surprises, comme l’observation d’un chat margay, d’un raton crabier, de saïmiris, de caïmans, ou encore d’empreintes de jaguars.