Bonjour Ewan, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis chercheur à l’Université de Portsmouth (UK), au Centre pour la Gouvernance Bleue, depuis 2018. Je travaillais avant à l’Observatoire du Milieu Marin Martiniquais (2011-2018), essentiellement sur le suivi des récifs coralliens, et la problématique des espèces invasives (poisson-lion).
Depuis 2014-2015, j’ai intégré l’évaluation des services écosystémiques dans mon travail, en élargissant aux écosystèmes associés aux récifs coralliens (mangroves, herbiers). En 2018, mon champ de recherche s’est également étendu aux milieux tempérés, avec les marais salés (Mauritanie, Europe du Nord), voir sub-polaires, avec les forêts de kelp (des Falklands jusqu’en Norvège). La condition écologique des écosystèmes est au cœur de l’évaluation « monétaire » des services rendus par la nature, je garde donc un pied fermement ancré dans l’écologie marine, avec un outil (levier) économique supplémentaire pour sensibiliser les décisionnaires et les acteurs locaux.
Vous avez publié récemment un article dans lequel vous vous intéressez aux services écosystémiques des mangroves des territoires d’outre-mer. Pouvez-vous décrire le contexte dans lequel vous avez mené cette étude ?
Suite aux travaux réalisés en Martinique, en Guadeloupe, à Mayotte et à La Réunion en 2008-2015 dans le cadre de l’évaluation des services d’usages indirect des récifs coralliens et écosystèmes associés (Thème d’Intérêt Transversal – IFRECOR), nous nous sommes penchés sur les mangroves, cette fois pour l’ensemble des territoires Outre-mer. L’objectif était d’avoir une approche méthodologique homogène sur l’ensemble des territoires et d’avoir ainsi une évaluation nationale. Au fur et à mesure de l’étude, la liste des auteurs/contributeurs s’est agrandi (passant de 2 à 7). La collaboration avec d’autres experts a très bien fonctionné, et de voir ce travail publié dans un très bon journal est une grande satisfaction.
Vous avez développé un indice de vulnérabilité des mangroves des outre-mer pour pouvoir estimer la valeur des services écosystémiques (SE). Quelle méthodologie avez-vous mis en place pour développer cet indice ? Et pourquoi intégrer cet indice dans votre évaluation des SE?
L’indice de vulnérabilité des mangroves se base sur trois composantes : l’exposition à des pressions humaines et environnementales, la sensibilité des mangroves à ces pressions, et leurs capacités d’adaptation. Par exemple nous avons regardé le niveau d’urbanisation à proximité des mangroves comme indicateur de pression anthropique. Ou encore, nous avons utilisé des indicateurs de biodiversité fonctionnelle pour témoigner de la sensibilité des mangroves aux pressions et de leurs capacités d’adaptation.
En l’absence de données homogènes sur la condition écologique des mangroves pour l’ensemble des territoires outre-mer, nous avons calculé cet indice de vulnérabilité pour affiner l’évaluation des services écosystémiques. Cet indice permet aussi d’identifier les territoires pour lesquels des mesures de protection renforcées doivent être mises en place pour continuer de bénéficier des services rendus par les mangroves. Ce concept est donc très important pour sensibiliser les acteurs locaux et les politiques publiques sur l’intérêt de préserver des mangroves en bon état, et mettre en place des mesures de restauration lorsque les conditions sont favorables (c’est-à-dire après avoir réduit les pressions à l’origine du déclin).
Dans l’article, vous mentionnez que les services écosystémiques sont moins élevés dans les Antilles françaises en raison d’une vulnérabilité accrue sur ces territoires. Faut-il en conclure qu’une mangrove vulnérable fournit moins de services écosystémiques ?
Oui, et c’est logique ! Une mangrove présentant une forte vulnérabilité (par de fortes pressions anthropiques, une forte sensibilité et des capacités d’adaptation réduites) ne fournit pas la même qualité et quantité de services qu’une mangrove florissante qui se développe sans aucune contrainte avec des mesures de protection en place.
L’évaluation des services écosystémiques repose très (trop) souvent sur la surface des mangroves, à laquelle on multiplie un taux de séquestration carbone moyen/ha, une valeur moyenne de protection côtière etc. Or une mangrove dégradée aura certes la même surface, mais l’atténuation des vagues, par exemple lors de tempêtes tropicales ou de cyclones, ne sera pas aussi efficace qu’une mangrove en bonne condition. Une mangrove qui reçoit des rejets d’origine anthropique (pollution organique et/ou chimique) verra sa faune endogée perturbée, avec des conséquences sur le fonctionnement même de l’écosystème et les services rendus.
Quelles autres conclusions avez-vous pu établir ?
La valeur monétaire des services rendus par les mangroves en France a été estimée à 1,6 milliard d’euros par an, et cela uniquement pour ceux de protection côtière, de séquestration carbone, de traitement des eaux et de production de biomasse en poisson. Cette valeur serait bien plus grande encore si les services d’approvisionnement ou encore culturels étaient pris en compte. Ce qu’il faut retenir, c’est que la protection et la conservation des mangroves est un très bon investissement notamment dans le cadre des stratégies nationales d’adaptation et d’atténuation des effets du changement climatique. Ces mesures procurent de plus d’indéniables autres bénéfices écologiques, économiques, sociaux, politiques et culturels.
Quant aux perspectives futures, cet article constitue une base de réflexion pour une approche plus fine et détaillée qui refléterait le contexte environnemental, social, économique, voir politique de chaque territoire ultramarin. Je souhaiterais aller plus loin en intégrant d’autres compartiments, tels que les crustacés, mollusques, poissons ou même les oiseaux qui peuvent être de bons indicateurs, afin de mieux comprendre la réponse des mangroves aux changements globaux.
Avez-vous une anecdote de terrain à partager ?
Pour l’anecdote de terrain en mangroves, c’était lors d’une mission dans le Parc National du Banc d’Arguin en Mauritanie. C’est là-bas que l’on trouve les mangroves les plus septentrionales de l’Afrique de l’Ouest. J’ai vu LE dernier palétuvier, situé le plus au Nord, à Iwik. Sentiment étrange de se trouver à la limite de distribution ! Pas plus haut qu’1m50, des conditions désertiques, beaucoup de vent, des déchets enchevêtrés dans ses racines, cet arbre était pourtant remarquable !
Avez-vous de nouveaux projets sur les mangroves ?
Oui, je suis ravi de pouvoir continuer mon travail sur les mangroves dans les prochaines années avec 2 projets de recherche européens qui viennent de démarrer en 2020, et qui permettront de mieux comprendre le lien entre les pressions environnementales, l’état écologique des mangroves, et les services écosystémiques.
Les interactions entre le changement climatique, la biodiversité et les services écosystémiques sont au cœur du projet H2020 MaCoBioS (https://macobios.eu) que je coordonne avec Pierre Failler et Cindy Cornet. C’est un vaste projet qui porte sur les écosystèmes marins côtiers de Caraïbes, de Méditerranée et d’Europe du Nord. Les mangroves y sont à l’ordre du jour dans les Petites Antilles (Barbade, Bonaire, Martinique).
Aussi, dans le cadre du projet MOVE-ON (http://moveon-project.eu), nous visons (entre autres) à caractériser l’état de référence des écosystèmes marins côtiers dans les territoires outre-mer européens, avec un coup de projecteur sur les mangroves en Guyane, en Martinique et à Mayotte.